dimanche 24 juin 2007

La grande maison

Comme tu le sais, je te l’ai déjà dit, notre maison était très très grande. De toutes manières tu la connais puisque l’an prochain ce sera ton école. Elle était au milieu de l’immense cour de récréation, rien que pour nous les jours de vacances. Elle était entre les deux salles de classe. D’abord, je revois la cuisine, très grande avec ses petits carreaux rouges au sol que manique balayait tout le temps car elle disait que toutes les traces se voyaient dessus. Il y avait le coin repas, et le coin cuisine avec des placards tellement grands que nous pouvions nous cacher dedans. Dans ce coin là il y avait une grande fenêtre avec une grille en fer forgé et pas de volet. Le soir manique fermait avec un rideau rouge et une pince pour qu’on ne nous voie pas de dehors. En haut de la fenêtre il y avait un petit triangle ou le rideau ne fermait pas. Je détestais ce petit triangle. Le soir quand il faisait nuit, et que nous mangions dans la cuisine, à table j’étais juste en face de cette fenêtre. Et pendant tout le repas, mon œil était attiré par ce petit triangle noir de nuit. En fait j’étais certaine qu’un dieu ou un monstre magique m’observait et regardait si je finissais bien mon assiette. Je pensais que j’allais voir un œil terrible chaque fois que je ne mangeais pas. Je pensais aussi que c’était par là que le Père Noël nous surveillait.

Il y avait aussi la salle de bain, qui n’avait pas non plus de volets, et une grande vitre translucide qui donnait sur les arbres de la cour. Les nuits d’hiver la lumière extérieure dessinait les ombres des branches des tilleuls en des sortes de monstres aux bras immenses et frémissants. Il fallait passer devant chaque fois qu’on allait faire pipi et je courais sans regarder dehors pour aller jusqu’aux toilettes.

Je ne sais pas pourquoi, les premières années où nous habitions là-bas manique avait décidé que nous n’occuperions pas le premier étage. Nous étions tous les 6 entassés dans deux chambres. Quand nous étions malades, pour nous avoir tout près d’elle manique nous installait sur un divan dans la salle à manger. Là aussi il y avait un coin qui me faisait peur, c’était juste en face du divan. La cheminée un manteau qui se reflétait sur le mur et j’y voyais le profil d’un homme en chapeau haut de forme. Alors je fermais les yeux très fort pour oublier cette image effrayante que revenait bien sûr chaque fois que je les rouvrais.

Le pire c’était la partie de la maison inoccupée. Il y avait une grande pièce un sorte d’entrée et un immense escalier qui allait à l’étage. Payi avait transformé une chambre en labo photo. Et les autres contenait des bazars avec des tas de cahiers et de livres tout poussiéreux. Il y avait aussi deux greniers de chaque côté d’un grand couloir. Parfois nous allions visiter ces pièces avec carotte, mais toujours dans la journée, car nous avions toujours l’impression d’entendre des bruits mystérieux au milieu du silence inquiétant des grandes pièces.

Quand nous ne finissions pas nos assiettes, parfois manique nous forçait et nous punissait. Je me souviens qu’une fois elle avait préparé des œufs mimosa et que je détestais ça. Et carotte non plus n’en voulait pas. Manique nous avait dit plusieurs fois « Si vous ne finissez pas, je vous enferme dans le noir ». Mais nous ne touchions pas notre assiette. Alors elle nous a emmenées dans la pièce avec l’escalier et nous a faites asseoir sur la première marche, avec notre assiette sur les genoux et notre serviette autour du cou. On voyait juste la lumière de la rue, et l’escalier qui s’enfonçait dans le noir. C’était terrifiant. Nous pleurions toutes les deux, et nous n’avions pas plus envie de manger nos œufs. Je nous revoie encore. Manique venait ouvrir la porte de temps en temps pour voir où nous en étions. Comme elle ne voulait pas céder, nous avons fini par avaler nos œufs mimosa, par petites bouchées et en pleurant.

Heureusement, quand Michmuch et Lolotche ont grandi, on était trop serrés en bas et on a fait aménager le haut qui est devenu très clair, très beau, avec des salles d’eau pour tous, et des jolis papiers peints très gais. Nous n’avions plus peur d’y aller et manique ne pouvait plus nous y punir.

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